Lampedusa, Concordia, La Méduse. les naufrages font toujours recette. C’est moins vrai de la vieillesse.Les trop vieux naufragés savent-ils qu’ils font naufrage ?
Eléments de réponse et propositions de lecture.
Jeudi 3 octobre 2013. les gazettes rapportent que des touristes auraient vu le président Chirac consommer une piña colada à la terrasse de Sénéquier. café réputé du port de la ville varoise où il a ses habitudes. Des clichés téléphoniques circulent. Les touiteurs touitent (1).
Arthur, auditeur du Var, parle sur RTL
« L’ancien président très heureux, souriant est resté une petite heure a précisé à RTL Arthur, un responsable de l’établissement. Il a toujours l’œil vif, je pense que c’est une personne encore très vive d’esprit qui sait très bien ce qu’il fait et où il est. » D’où Arthur nous parle-t-il ainsi. Où est la frontière qui permet de parler d’un vieillard comme s’il n’était plus véritablement une personne. Quelles sont les raisons qui font qu’Arthur peut s’autoriser à dire qu’il pense que l’ancien président de la République sait qu’il est à la terrasse de Sénéquier.
Il y a un an Bernadette Chirac s’exprimait sur le même thème. Notamment dans Paris Match. Extraits :
« Sa voix s’est teintée d’émotion quand elle a évoqué l’état de santé de son mari Jacques Chirac sur Europe 1. Gaulliste convaincue, Bernadette Chirac a repris les mots du général sur l’âge et les années qui passent. «La vieillesse, le général de Gaulle l’avait dit, c’est un naufrage. Et je continue à la penser». Silence. Puis elle reprend sur le ton énergique qu’on lui connaît. Il n’est ni muet, ni aveugle.
Il est capable d’aller se promener. Simplement, il faut veiller sur sa santé, ne pas l’inciter à faire de choses. Il ne peut plus faire de grandes promenades. D’ailleurs, il n’a jamais fait de sport. Il dit toujours, je suis comme Churchill, ‘No sports’. Je ne crois pas du tout que ce soit une recommandation à donner».
De Gaulle, Pétain, De Beauvoir
Même les gaullistes peuvent se tromper. Ou plus précisément ne pas dire l’exacte vérité. Il est possible que le Général ait dit ce que Bernadette Chirac, née Chodron de Courcel. dit qu’il a dit. Mais, contrairement à ce que l’on peut penser qu’elle pense, de Gaulle n’est pas le premier à l’avoir dit. Et tout laisse penser que Charles de Gaulle le savait. D’autant qu’il ne parlait pas de sa personne mais bien de Pétain et du naufrage de la France. On se déchire encore et les recherches en paternité se poursuivent pour identifier le géniteur de cette image. Pour l’heure le grand Chateaubriand tient la corde. Grâce notamment à Simone de Beauvoir née Simone-Lucie-Ernestine-Marie Bertrand de Beauvoir (1908-1986) qui écrivit, en 1970, dans son essai sur la vieillesse (Gallimard) :
« La vieillesse est un naufrage » écrivit Chateaubriand avant d’être plagié par le général de Gaulle, qui en avait après Pétain. »
On peut aussi, grâce à la chirurgie de l’ostéoporose et avec l’aide des Anglais, filer la métaphore maritime :
« Nous disons simplement qu’arrivé à un stadeoùla vieillesse étant un naufrageilsemble que tout soit dit, il reste quand même un capitaine à bord pour combien de temps.
We shall simply saythatonereaches a stage where old age being ashipwreck it seemsthat everythinghas been said but there is still a captain on board for how long? »
Reste, pour l’heure, l’essentiel. « Le vieillissement psychique » de Benoît Verdon. Editions des Presses Universitaires de France (collection Que sais-je ?). Vous découvrirez comment, sur le pont au fumoir et dans les soutes, on gamberge. Et comment les capitaines et les soignants de la croisière pourraient améliorer cette gamberge (2). Il vous en coûtera neuf euros. Moins que pour un mojito chez Sénéquier (Saint-Tropez ).
(1) A l’heure des célébrations (avant, pendant ou après avoir fini la Recherche les allergologues, les gériatres (les sexologues ?) ne seront pas insensibles au délicieux « Dictionnaire amoureux de Proust » des Enthoven, chez Plon).
Pour briller en société, demander. « Marcel aurait-il tweeté. ». Pour briller un peu plus encore, on aura pris la précaution de lire le dernier ouvrage du plus que prolixe François Bon (éditions du Seuil). « Proust est-il une fiction. ».
(2) Outre « Palladium » de Boris Razon (Stock) (dont nous avons déjà vanté ici les vertus ), la littérature de la douleur vient de s’enrichir d’un nouveau titre. le redoutablement drôle « Vivre en mourant » (Flammarion) de Christopher Hitchens –traduction de Bernard Lortholary. Brillant journaliste américain (Slate.com, Vanity Fair, Atlantic ) d’origine anglaise l’auteur tient la chronique d’une maladie du foie qui eut assez vite raison de lui. il aura à peine de dépasser le cap de la soixantaine.